Je lisais un article sur un réseau social professionnel qui parlait de toutes les vertus de l’évaluation des managers par leur collaborateur (« feed back montant » ou « enquête de satisfaction collaborateur »). Le titre était un peu provocateur puisqu’il sous entendait que les managers n’étaient pas ou étaient mal évalués ... j’adore les généralités (rire) ! Je m’y suis donc attardé par une lecture approfondie car cet article m’a semblé intéressant mais très incomplet. Evidemment l’article n’engageait que son auteur mais à la vue du nombre de ses abonnés (quelques dizaines de milliers quand même), j’ai tout de suite pensé à l’impact qu’il pouvait avoir. Voici donc quelques réflexions sur le sujet. Elles n’engagent également que moi.
J’adhère parfaitement au fait que la culture du feed back est insuffisamment répandue dans les entreprises.
I. La mesure de la satisfaction des collaborateurs peut être positive dans les organisations mais à plusieurs conditions :
- Avant de se lancer dans une consultation ou exercice de « feedback montant », il faut considérer le cas du manager dont la prise de poste est récente.
Même s’il y a du positif en chacun, nous savons qu’un manager fraichement nommé peut avoir à faire face à des rancœurs et des jalousies de collaborateurs du service qui n’auront pas obtenu son poste. Autre situation parfois délicate à gérer, le cas du collègue qui devient le manager du service.
Ces deux-là seront certainement « testés » par leurs nouveaux collaborateurs sur leurs compétences techniques et relationnelles pendant un certain temps et devront manager la déception de certains ou la défiance d’autres.
Dans ces circonstances, lancer un questionnaire de satisfaction auprès des collaborateurs pourrait déclencher des jeux psychologiques dévastateurs.
- En outre, dans les grandes organisations, il est possible que ces enquêtes de satisfaction soient programmées et pilotées par un autre service (RH…).
Un exercice de feed back montant des collaborateurs en direction de leur manager me semble particulièrement inapproprié avant d’avoir recueilli le feu vert du manager en question au risque de le mettre dans une situation bien délicate.
Je pense même que chaque manager doit être l’initiateur de ce type d’exercice. L’enquête devient alors plus pertinente, le manager est légitime et (ré)affirme ainsi sa bienveillance.
- Ensuite, un des devoirs du manager est de relayer et de retranscrire en actions les choix et orientations de l’entreprise qui impactent son équipe et son activité. Il existe un risque que ces enquêtes soient parasitées par des rancœurs de collaborateurs face à des choix qui relèvent de l’entreprise et non du manager direct. Encore une fois, il s’agit, soit de choisir le moment propice pour que seul le management soit évalué, soit d’expliquer que le but de l’enquête est d’avoir un feed back sur un sujet d’entreprise.
- Dans le cadre d’une enquête de satisfaction menée auprès des collaborateurs, les questions posées devront être particulièrement bien cadrées, calibrées, leur sens et leur finalité expliqués, pour éviter toute attaque personnelle contre-productive envers le manager.
Les collaborateurs doivent ainsi être encouragés à exprimer et étayer leurs ressentis et leurs attentes et se faire force de proposition, car, rappelons-le, tous les collaborateurs ne sont pas managers ou formés aux techniques de communication (et tant mieux car la spontanéité peut être aussi très intéressante dans ce genre d’exercice).
- La taille de l’équipe et les conditions dans lesquelles l’enquête ont lieu sont importantes. Un contremaître qui encadre 2 collaborateurs gèrera certainement ce type de discussion par 2 entretiens individuels formels ou informels pour recueillir l’avis de chacun. Nul besoin de rassembler les collaborateurs pour qu’ils potassent entre eux l’enquête, au risque qu’ils ne décident de se focalisent que sur les aspects négatifs de leur quotidien. A mon sens, les collaborateurs doivent effectuer l’enquête individuellement et bénéficier d’un environnement calme et tranquille propice à la prise de recul.
Au risque de paraître rétrograde, si, au sein de l’équipe, les échanges sont constructifs, si l’honnêteté y est de mise et si le manager est assez solide, je privilégierais un point d’équipe dédié.
- Ce type d’exercice ne doit pas exonérer le N+1 du manager de faire son devoir ! Celui d’accompagner in situ son N-1, collaborateur-manager, plusieurs fois dans l’année et ne pas l’évaluer sur des jugements de valeur ou des situations anecdotiques.
Son rôle n’est certes pas d’être un expert technique mais d’être suffisamment présent et compétent pour évaluer avec justesse et objectivité son collaborateur-manager.
Chaque personne dans l’entreprise a des objectifs à atteindre bien sûr mais chacun montre aussi toujours des points forts lorsqu’il est accompagné au fil de l’eau. Objectifs ET points forts ainsi recueillis alimenteront, in fine, l’entretien annuel ! D’ailleurs, l’entretien annuel sera beaucoup plus simple et convivial si l’année a été jalonnée d’accompagnements in situ débriefés et de points individuels de situation.
- C’est pour cela que la question de la fréquence des enquêtes collaborateurs est très importante et que leur déclenchement, voire leur organisation, doit rester à la main de chaque manager. Si ces enquêtes sont trop fréquentes, le risque est de leur faire perdre de la force et de devenir le seul tableau de bord du N+1 (manager du manager) qui ne fera peut-être plus l’effort d’aller accompagner et d’écouter son collaborateur-manager.
- Et enfin, si des enquêtes avec feed back montant sont instaurées par l’organisation, elles doivent concerner toutes les strates de l’organisation y compris le dirigeant. Cela peut paraître utopique mais comment imposer ou faire vivre des situations à son management intermédiaire en s’en soustrayant soi-même ? C’est la force de l’exemple et de la transparence qui font vivre ce type de pratiques.
Et c’est justement là que réside, à mon sens, toute la culture du feed back à la fois si importante pour être vraiment manager mais si peu répandue dans les organisations.
En résumé, les enquêtes de satisfaction collaborateur (ou feed back montant) sont un exercice intéressant mais à manier avec beaucoup de précautions et qui devront être initiées par le manager de chaque équipe. Bien sûr, chaque manager devra obligatoirement tenir compte des résultats de l’enquête et passer à l’action à l’issue.
II. Manager donne de grande satisfaction mais implique aussi des devoirs et notamment celui de la reconnaissance donnée à ses collaborateurs.
- Manager c’est communiquer sur les objectifs. C’est se poser avec ses collaborateurs individuellement ou en équipe pour analyser les difficultés et trouver ensemble des solutions mais c’est aussi communiquer sur les réussites. Dans les 2 cas, il y a de l’humain, autrement dit des émotions. Manager est un métier à part entière.
- Le manager intermédiaire est souvent pris en sandwich entre les exigences de résultat légitime de sa hiérarchie et les besoins de reconnaissance de ses collaborateurs. Mais l’évaluation de ses compétences ne doit pas se résumer qu’à cela. Sa performance est aussi liée à ses compétences humaines, à sa capacité à « faire faire » car lui-même est dépendant du bien-être de ses propres collaborateurs. C’est son devoir premier d’y veiller en accompagnant et en donnant du feed back, au fil de l’eau, à chacun.
- La législation est, à juste titre, vigilante sur les risques RPS. Le danger pour le manager est d’être obnubilé par les risques au détriment de ce qu’il peut vraiment apporter de positif à ses collaborateurs. Tout ne doit pas être normé par des process parfois déconnectés, voire inapplicables. L’équilibre à trouver ne peut venir que des accompagnements in situ et feed back descendant du N+1 en direction de chacun de ses collaborateurs pour que chacun connaisse vraiment ses forces et axes de développement.
- Certaines organisations commencent à impulser cela dans leur culture car, oui, c’est une véritable culture. C’est celle souvent rencontrée dans les « organisations apprenantes » ou encore dans les petites organisations à taille humaine.
- Le chemin n’est pas toujours simple et doit être impulsé par l’ensemble de la ligne hiérarchique pour être pérenne. Les « je n’ai pas le temps de t’accompagner, tu gères tout seul, c’est ton job », « je ne peux ni ne veux m’attarder sur des états d’âme, ça n’est pas mon rôle » ou les «tant qu’on ne te dit rien c’est que tout va bien, si ça ne va pas on ne manquera pas de revenir vers toi », les « y a qu’à, faut que tu », les « c’est pourtant simple », les « accompagnements coquille vide qui n’en sont pas », les « reste pro, laisse tes problèmes chez toi », ou encore les « attention à ta posture », les « tu n’es pas très corporate quand tu dis cela » … tout cela semble encore assez répandu. C’est de la reconnaissance mais négative avec tout ce qu’elle entraîne de toxique pour tout le monde.
- C’est mortifère pour les organisations. A mon sens, le capital humain reste garant de la performance des entreprises alors prenons soin des collaborateurs et managers, écoutons-les, aidons-les et accompagnons-les. Donnons-leur de la reconnaissance. Vive les « bonjour », les « comment vas-tu ? » « De quoi as-tu besoin », « comment vois-tu les choses pour faire cela autrement ?» « Bravo, bon travail, continue, J’apprécie ceci », « tu t’en es bien tiré dans ce dossier » « tu maîtrises cela » … qui doivent aussi être retranscrit dans les entretiens annuels de chacun.
- La communication n’est pas seulement descendante. Elle sera naturellement montante si un climat propice est impulsé par le manager et l’entreprise. Le manager encouragera aussi la communication entre collaborateurs.
- Enfin, la bienveillance et la confiance données sans condition doivent nécessairement être réciproque. Si ce n’est pas le cas, c’est de la malveillance qui peut être générée par le manager mais aussi par un collaborateur. Une communication assertive permet assez souvent de stopper cette maltraitance mais si elle perdure d’autres solutions sont à envisager.
Si bien être il y a dans un service, le feedback montant se fera naturellement. Pas besoin de nouveau process, de formalisme ou d’une décision d’entreprise. Lorsque les enquêtes sont imposées, il y a risque qu’elles deviennent le problème voire que l’institution ne transfert une part de sa responsabilité sur les épaules de l’individu manager.
Le bien-être professionnel comme la performance ne sont pas des normes, ils ne se décrètent pas, ils s’impulsent par les véritables leaders de l’entreprise. En revanche, lorsque le Bien être Professionnel (BP) se conjugue avec une culture de l’Accompagnement et du Feedback (AF), il y a Performances Inégalées (PI) :
BP + AF = PI ! 😉
Comment prendre toute sa dimension de manager ? Est-on vraiment manager sans accompagner in situ ? Comment réussir son / ses entretien(s) annuel(s). De beaux articles en perspective …
Chaque situation reste unique et particulière et les actions à mener doivent être adaptées.
Sans être exhaustif, il me semblait important de partager ces quelques réflexions.
Et vous, comment voyez-vous les choses ?